Petites Graines n° 7 : Les Enfants-Racines en Allemagne : Et si nous arrêtions d’avoir peur du naturel des enfants ?

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Une raison pour laquelle j’ai tellement apprécié mon expérience dans le jardin d’enfants en forêt en Allemagne est la multitude des situations d’autonomie que j’ai pu observer. Les enfants jouaient, bricolaient et réfléchissaient en dévoilant librement leur grande créativité. Ils avaient également une capacité étonnante à faire face aux difficultés rencontrées.

Décidément, ces enfants étaient habitués à se prendre au sérieux et à expérimenter leurs compétences. Et quel bonheur de voir ces petits talents à l’œuvre !!

 

De retour en France, mon entourage m’a beaucoup questionnée sur ce qu’il identifie comme une absence de cadre : « Mais si les enfants peuvent grimper aux arbres aussi haut qu’ils le veulent, jouer avec la boue et si on ne les oblige pas à apprendre les bases leur permettant l’intégration à l’école primaire, ne courent-ils pas à la catastrophe ? »

Dans notre culture persiste toujours la peur du naturel de l’enfant : « Si nous ne canalisons pas à tout prix les enfants, ils vont faire n’importe quoi ! » 

Mais alors, n’est-ce pas justement cette méfiance (ou peur) sur laquelle nous construisons la relation aux enfants, qui crée leur envie de s’opposer à nous ?

De  même, n’est-ce pas notre manie de vouloir remplir les enfants de savoir et de compétences qui les empêche de se montrer curieux ?

Chez les « Enfants-Racines », c’est la confiance envers les enfants qui est le guide des adultes. Il ne s’agit pas d’une confiance aveugle, mais la certitude que, si l’adulte propose un cadre de vie sain, bienveillant, riche, où il incarne lui-même un exemple constructif à suivre, les enfants peuvent se structurer et se saisir du cadre pour s’épanouir pleinement. Alors, il n’y a pas « de juste et de faux », il n’y a que du « juste » parce que toute expérimentation fait partie du nécessaire cheminement.

Les accompagnateurs ont conscience que les enfants coopèrent au bien-être de tous tant qu’ils en ont la possibilité. Ils sont les co-gardiens du cadre car ils en ont autant besoin que nous, les adultes ! La volonté des enfants et le cadre ne s’opposent donc pas (comme nous avons encore tendance à le penser en France). Quand les enfants s’attaquent au cadre, c’est que nous devons identifier avec eux les besoins qui les poussent à agir ainsi.

Et ça marche !!!

Les enfants que j’ai accompagnés en Allemagne ne sont pas différents des nôtres. En revanche, ce qu’ils vivent au quotidien est différent et il en va de même de leurs comportements.

Gabriel, 6 ans, vit ses derniers moments au jardin d’enfants avant de partir à l’école. Il vit une période de transition pas très simple à gérer pour lui.

À un moment, il se met à taper avec un bâton sur une casserole placée juste à côté de la roulotte. À l’intérieur se trouvent les enfants en réunion d’enfants, réunion à laquelle Gabriel a refusé de participer.

Nos réflexes pourraient nous amener à juger Gabriel : il a eu le choix de participer ou non à la réunion et il n’est quand même pas content. Pire ! Il manque de respect envers le groupe qui est gêné par le bruit !

Alors, je me suis entraînée à aller plus loin dans mes réflexions. « Il n’y a pas de juste et de faux, il n’y a que du juste ! », comme le répète assez régulièrement Gabi, la directrice du jardin d’enfants. Même pour moi, pourtant fervente adepte d’une éducation non-violente, cela me demande de sacrés efforts. Ne pas exiger de Gabriel qu’il stoppe ce tapage, quel challenge !!

Alors place au processus de la Communication Non Violente : « Gabriel, qu’est-ce qui se passe pour toi, là ? » – « Leur réunion, c’est nul, mais je n’ai pas envie d’être tout seul dehors ! »

« Comment ? C’est pour eux que tu fais du bruit comme ça à côté de la roulotte ? » – « Ça les dérange et comme ça, ils ne peuvent pas discuter. »

« Et comment c’est pour toi de les empêcher de discuter ? » – « … je ne sais pas… »

« Tu voudrais qu’on trouve une autre solution ? » – « … »

« Qu’est-ce qui est important là, pour toi ? »

« Ne pas être tout seul et pouvoir faire de la musique. »

« Et comment est-ce qu’on peut faire pour que les autres puissent faire leur réunion ? » – « On va plus loin ».

C’est ainsi qu’est né un super concert de batterie de casseroles et de chant, auquel se sont joints, peu à peu les autres enfants disponibles. Gabriel qui, à ce moment-là, avait du mal à trouver sa place dans le groupe a pu inspirer une activité qui a fédéré pas mal d’enfants autour d’un plaisir créatif partagé.

Mais, finalement, n’est-ce pas céder au caprice des enfants ? Oui, mais seulement avec notre vision traditionnelle dans laquelle domine la peur du naturel de l’enfant ! (D’ailleurs, vous, les parents qui me lisez, êtes déjà nombreux à avoir effacé le mot « caprice » de votre vocabulaire.)

Quelles conséquences, pour les enfants, l’expérience répétée d’être écoutés et accompagnés sans jugement ?

Chaque enfant vit des phases au cours desquelles il exprime (parfois de manière explosive) beaucoup de besoins et où il peut mettre à mal la patience et la bienveillance de l’adulte. Alors, être accompagné par des adultes qui ne doutent pas de sa volonté profonde de coopérer au bien-être de tous, permet à l’enfant de bénéficier d’une réelle empathie et de s’apaiser. C’est alors qu’il peut, à son tour, libérer sa capacité d’empathie puis trouver des solutions par lui-même.

Afin d’éviter de rentrer dans un rapport de force, pourquoi ne pas faire appel à la capacité d’introspection de l’enfant ? « Je sais que, si tu le pouvais, tu passerais une belle journée avec nous, mais il y a quelque chose en toi qui t’agites, qui essaies de s’exprimer. Sais-tu ce que c’est ? » Pour aider l’enfant, il est possible de faire des propositions : « Est-ce de la colère parce que tu as dû partager la balançoire ? », « Est-ce que tu as eu peur quand Anthony a crié ? », « est-ce que tu te sens très fatigué aujourd’hui ? ». En renvoyant de manière ouverte nos hypothèses à l’enfant, il peut ressentir pleinement notre bienveillance, apaiser son stress pour se reconnaître ou pas dans nos propositions. Et, peu à peu, l’enfant devient de plus en plus habile à partager ce qui l’habite.

« OK, maintenant que je sais que tu es très en colère, qu’est-ce qui peut t’aider à aller mieux ? » – « Je veux taper Julie, parce que je ne veux pas qu’elle fasse de la balançoire. » – « Et si tu tapes Julie, qu’est-ce qui va se passer pour elle ? » – « Elle va tomber de la balançoire » – « Et toi, c’est de ça dont tu as envie ? » – « Non » – « Est-ce que tu peux faire autre chose alors ? » – « Je peux lui demander si elle veut faire de la balançoire longtemps » – « Si tu sais combien de temps tu dois attendre, tu te sentiras mieux ? » – « Oui ! »

Le plus difficile pour moi a été de lâcher mes automatismes d’intervention et de m’ouvrir réellement à l’enfant. Ces situations qui se déroulaient, comme par magie, ainsi que je viens de le décrire, avec mes collègues habitués à cette forme de dialogue, ne se passaient pas du tout de la même manière avec moi. Ma posture était encore incertaine et un peu forcée. Ça manquait d’authenticité. Puis, au moment où j’arrivais, moi aussi, à ressentir cette confiance envers les enfants, la magie s’opérait également avec moi.

Merci de m’avoir lue jusqu’au bout et à bientôt pour d’autres Petites Graines.

Simone Niessen

accompagnatrice parentalités bienveillantes

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=AG9dFRzY-7s