Petites Graines n°5 : En Allemagne, ma joie de vivre des pédagogies alternatives !!

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Accompagner les parents et les professionnel.le.s de la Petite Enfance est d’autant plus riche que je continue à travailler avec les jeunes enfants dès que je le peux. Des remplacements en (micro-)crèche, des interventions régulières en Lieu d’Accueil Enfants Parents (LAEP), rien de mieux pour rester pertinente et apprendre toujours plus.

Lors de précédents voyages pédagogiques en Europe, j’ai pu faire la connaissance d’une association allemande qui accompagne de jeunes enfants selon une approche pédagogique très intéressante : celle de Reggio Emilia.

Cette approche a été créée après-guerre (1946) en Italie par la population d’un village souhaitant créer un lieu d’accueil pour les enfants, qui devait leur permettre d’évoluer paisiblement et démocratiquement, afin qu’ils ne soient plus tentés d’entrer en guerre. Loris Malaguzzi, qui a accompagné ce mouvement jusqu’à sa mort en 1994, a largement inspiré, non seulement l’esprit démocratique, mais également les conditions pédagogiques grâce auxquelles les enfants peuvent apprendre par eux-mêmes, tout en étant compris et soutenus par des adultes, appelés accompagnateurs de développement.

Loris Malaguzzi

« Encore une méthode alternative !!! » pensent peut-être certain.e.s d’entre vous, «  Montessori, Céline Alvarez, la Motricité Libre, Freinet, … on s’y perd!! »

En réalité, toutes ces approches ont beaucoup en commun, à commencer par la volonté de comprendre l’enfant tel qu’il est et non pas tel que l’adulte voudrait qu’il soit. De plus, elles proposent des outils d’accompagnement qui permettent à l’enfant de se développer naturellement et dans le respect de sa personne. Toutes offrent, à mon sens, des inspirations complémentaires tant qu’on ne cherche pas à s’enfermer dans des méthodes à appliquer à la lettre.

Mes premières visites m’ont beaucoup inspirée. Elles ont mis en lumière les énormes compétences sociales, motrices et intellectuelles naturelles que détiennent les enfants, à partir du moment où ils sont accompagnés par des adultes qui ont une réelle confiance en leurs compétences et qui savent les accompagner sans étouffer leurs impulsions naturelles. J’y ai observé des situations que j’avais crues, jusqu’alors, trop utopiques pour être appliquées dans la réalité. Dix enfants de 3 à 6 ans, en parfaite autonomie, dans une petite pièce, à bricoler autour de 3 projets distincts, utilisant des couteaux, des pinces, … sans qu’il y ait ni conflit, ni blessure. Des enfants du même âge grimpant à plus de deux mètres de hauteur sur des branches adossées à un arbre et formant un tipi. La sécurité n’était pas assurée par les adultes, mais par les enfants eux-mêmes grâce à l’écoute de leur corps et à la prise en compte de la matière qui leur sert de support. Les adultes n’interviennent d’ailleurs jamais avec des avertissements tels que « Descends de là, tu vas tomber !! » Ils savent que ces enfants, expérimentant leurs limites tous les jours, ne prennent pas de risques inutiles.

Ayant découvert l’accès à ce monde si riche, je voulais absolument comprendre comment il est possible d’aller aussi loin dans l’autonomie et la responsabilisation des enfants, sans qu’ils soient pour autant livrés à eux-mêmes. Je voulais aussi pouvoir davantage observer les processus créatifs et intellectuels des enfants qui leur permettent d’apprendre de leurs propres impulsions et de leur cheminement personnel. Et, question fondamentale !!, je voulais examiner les possibilités de partager de telles approches avec des enfants français.

Je ne vous cache pas que, quand j’ai été sollicitée pour faire un remplacement de deux mois dans le jardin d’enfants de la forêt de l’association à Karlsruhe, j’ai sauté de joie.

J’allais, pour une courte période, devenir moi-même une part de tout cela !!

Avant de pouvoir aller plus loin dans mon récit, j’ai à cœur de vous dire que les enfants allemands vivent des réalités différentes de celles que connaissent les enfants français, car ils ne vont pas à l’école maternelle. Ils ne doivent pas s’asseoir à une table pour faire des collages en algorithme ou de la reconnaissance de chiffres et de lettres avec, comme seul but, la réussite scolaire. Le travail des enfants allemands est de jouer pour s’amuser beaucoup et apprendre un peu. Il y a des enfants qui restent avec leurs parents jusqu’à leur scolarisation à 6 ans, d’autres vont en KiTa (lieu d’accueil 0-6 ans), d’autres en jardin d’enfants 3-6 ans, et d’autres encore vont chez des assistant.e.s maternel.le.s.

Ainsi, les enfants allemands grandissent avec moins de pression que les enfants français. Ils ne doivent pas impérativement être propres à 3 ans, ni être capables de rester tranquilles pour ne pas déranger une classe. Les parents et professionnel.le.s prônent le jeu libre dans un environnement riche, inspirant la créativité et la soif d’apprendre. Il existe, en Allemagne aussi, des parents qui se préoccupent de la précocité des apprentissages scolaires, mais, sous l’influence des recherches scientifiques et des pédagogues connus, la mise sous pression de l’enfant devient de plus en plus rare. « Il/elle saura lire et écrire quand il/elle sera prêt.e, en attendant, il/elle doit pouvoir vivre une enfance pleinement épanouie pour se construire harmonieusement. »

Alors, dans les prochaines articles, laissez-moi vous raconter les aventures que vivent les « Wurzelkinder », c’est-à-dire les « enfants-racines », qui m’accueillent dans leur quotidien.

 

Pour clore ce Petites Graines, je vous laisse apprécier, si vous en avez l’envie, une pensée de Loris Malaguzzi en direction des parents et professionnel.le.s.

 

À très bientôt

Simone

 

Le Cent existe bien :

« L’enfant est constituée d’une centaine.

L’enfant dispose d’une centaine de langues

d’une centaine de mains

d’une centaine de pensées

d’une centaine de façons de penser

de jouer et de parler.

Cent, toujours cent façons d’écouter

de s’émerveiller, d’aimer.

Cent joies pour chanter et comprendre

cent mondes à découvrir

cent mondes à inventer

cent mondes à rêver.

L’enfant a cent langues (et puis une centaine de centaines de centaines d’autres)

Mais quatre-vingt-dix-neuf lui sont volés.

L’école et la culture séparent la tête du corps.

On lui dit:

pense sans tes mains,

agis sans ta tête

écoute et ne parle pas

comprends sans joie

aime et émerveille-toi seulement à Pâques et à Noël.

On lui dit de découvrir le monde qui existe déjà et sur cent on lui en vole quatre-vingt-dix-neuf.

On lui dit que le travail et le jeu

la réalité et l’imaginaire

la science et l’imagination

le ciel et la terre

la raison et le rêve

sont des choses qui ne vont pas ensemble.

Et c’est ainsi qu’on lui dit que le cent n’existe pas.

 

L’enfant répond :

Le cent existe bien ! »

 

https://www.youtube.com/watch?v=AG9dFRzY-7s