Petites Graines n°2 : Le défi de la mono-parentalité bienveillante

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Cette fois c’est à la question d’Amélie que j’ai choisie de répondre. Cette maman, depuis peu en situation de monoparentalité, évoque ses doutes quant à son aptitude à pouvoir être une maman suffisamment à l’écoute de ses enfants.

 

« La vie se déroulant parfois autrement que prévu, je me retrouve toute seule avec mon fils de 3 ans 1/2 et mon deuxième enfant à naître d’ici quelques mois.

Comment vais-je réussir à gérer les sollicitations de mes enfants, quand j’aurai repris le travail ? Chacun me demandera de l’attention alors que je serai sûrement fatiguée, que je devrai ranger la maison, qu’il y aura une machine à étendre et une autre à faire tourner, un bain à faire prendre… Bref, comment arriver à rester disponible quand on est seule à gérer le quotidien ? »

 

Il est plus que compréhensible qu’Amélie appréhende ce changement de situation. La parentalité coule rarement de source, et cela, même quand on est deux pour élever un seul enfant. Alors, élever seul.e plusieurs enfants en bas âge peut paraître impossible.

 

Ce sujet est très intéressant et pas seulement pour les parents qui se retrouvent à élever seuls leurs enfants. Tous les parents peuvent douter d’être « à la hauteur » des besoins de leurs enfants. 

 

Beaucoup de personnes pensent que la monoparentalité est forcément source de grandes difficultés pour les parents et leurs enfants. Et pourtant, même si elle n’est probablement jamais une situation confortable, elle peut offrir un bel épanouissement à chacun. Des parents « solos », qui prennent soin d’eux pour prendre soin de leurs enfants et qui bâtissent leur parentalité avec dignité, confiance et bienveillance mutuelle, peuvent tout à fait offrir l’ancrage sécurisant et ressourçant dont tous les enfants ont besoin.

Mais cela nécessite de reconstruire une nouvelle image de la parentalité. Voici donc quelques « petites graines à penser » pour devenir pleinement architecte de cette nouvelle vie.

Family happiness! Happy mother tenderly embracing his two sons i

Amélie, tu as construit ton idéal de la parentalité dans un contexte bien différent de celui que tu vis maintenant. Je pense sincèrement que ta nouvelle parentalité ne sera ni pire, ni meilleure que la précédente, mais elle sera différente !

Construire un nouvel idéal pour sa parentalité

Ton nouvel idéal devra pouvoir être un phare pour toi et non pas un prétexte pour te noyer dans l’océan de l’impossible. Amélie, il est vrai que tu ne seras pas en mesure de répondre à tous les besoins en même temps : ceux de tes deux enfants, de la maison, de ton travail et… les tiens !! Mais, qu’est-ce que cela permet d’autre ? Une plus grande confiance envers les compétences de tes enfants, une émancipation de chacun ? Ce sont des forces qui trouvent souvent trop peu de place dans une parentalité où la disponibilité des parents est une évidence.

Devoir reconstruire une nouvel idéal de parentalité est nécessaire pour tous les parents qui changent de situation : une naissance, une reprise de travail, un déménagement, une épreuve … Faire le deuil de l’idéal qui nous a guidé jusque-là permet de nous ouvrir à de nouveaux possibles.

Éviter le piège de la compensation pour avoir un impact positif sur ses enfants !

J’aimerais aussi te mettre en garde afin que tu préserves ton énergie vitale.

Beaucoup de parents cherchent à compenser des situations inconfortables, s’épuisent et culpabilisent énormément de ne pas « en faire assez pour leurs enfants ». Ce risque-là me semble important à prendre en compte, car un parent épuisé et culpabilisé se dévalorise et perd son impact positif sur ses enfants. C’est un peu comme s’il disait en permanence : « Ce que je fais pour vous n’a pas de valeur et je n’ai pas de valeur en tant que parent. »

De même, un parent qui se sacrifie à contrecœur peut faire naître un sentiment de dette auprès des enfants. « Je fais tellement de choses pour vous, sans jamais penser à moi, il va falloir que vous me le rendiez un jour ! »

Alors, Amélie, je t’invite à reconstruire un idéal de parentalité qui ne te noie pas dans l’océan des impossibles. Un idéal de parentalité qui te guide vers la bienveillance envers tes enfants et envers toi-même !!

Ton quotidien t’amène, et t’amènera encore plus à la naissance de ton deuxième enfant, à offrir beaucoup d’énergie. Mais ton quotidien doit aussi te nourrir !

Une parentalité construite sur une dignité équitable !

Tu abordes ta nouvelle situation avec courage et la volonté de faire au mieux pour tous.

Les parents qui se laissent guider par la dignité, au sens du respect et de l’estime de soi, ont conscience de la valeur qu’ont leurs gestes et leur écoute au quotidien pour leurs enfants et pour eux-mêmes. Très naturellement, ils évitent les cercles vicieux dont j’ai parlé précédemment. Conscients de leurs propres besoins et de leurs priorités, ils sont moins hantés par la culpabilité, voire la honte, quand leur maison ne ressemble pas vraiment à une maison modèle.

Vivre avec des parents conscients de leur dignité est un beau cadeau pour les enfants et cette attitude parentale n’a rien d’égoïste ni de narcissique. Cela aide les enfants à profiter pleinement de l’attention qu’ils reçoivent et à la sublimer avec leurs propres initiatives.

Prenons l’exemple d’un repas. Il existe des parents qui se sentent tenus d’assurer  de répondre aux envies de tous. Sans en prendre vraiment conscience, ils se lèvent 10 ou 20 fois pour aller chercher tout ce qui pourrait malgré tout manquer. Et si, par malheur, ils n’ont pas acheté ce que souhaitent les enfants, ils se sentent mal organisés. Les enfants prennent alors bien plus conscience du manque que ce qui leur est offert.

Et puis, il y a des parents qui proposent ce qui, à leurs yeux, est possible et juste et qui s’accordent, à eux aussi, une pause repas détendue. Influencé par la sérénité du parent, si un enfant souhaite autre chose, il le vit plutôt comme l’envie d’apporter « sa petite touche en plus ». Il prend plus facilement l’initiative d’aller chercher ce qu’il veut ou, si son souhait ne peut se réaliser, l’accepter aisément.

La notion de dignité équitable* nous est proposée par le pédagogue danois Jesper Juul. Plusieurs de ses livres en direction des parents ont été traduits en français. La notion de dignité équitable renvoie à la volonté de considérer chacun avec le même sérieux, la même valeur et cela peut importe sa place ou ses compétences. Mais elle ne doit pas être confondue avec la notion d’égalité, car c’est bien aux adultes de prendre la responsabilité des décisions qui garantissent le bien-être pour tous.

Nous pouvons retenir que l’adulte n’a pas raison par principe et n’est pas non plus le seul garant du bien-être de tous. Et, même si les besoins des enfants sont souvent plus urgents que ceux des adultes, ils ne passent pas en premier par principe.

*Si vous cherchez sur internet tapez « équidignité » à la place de dignité équitable.

Amélie, je te connais en tant que maman attentive et à l’écoute de ton garçon et, comme toi, beaucoup de parents n’ont plus aucune difficulté à laisser de la place aux pensées et aux besoins de leurs enfants.

Mais beaucoup de parents considèrent que les besoins des enfants passent par principe avant ceux des adultes. Parfois, les besoins de l’adulte peuvent être prioritaires.

Par exemple, après une journée passée chez leur assistante maternelle, tes enfants manifesteront beaucoup de besoins à ton égard. De ton côté, ta journée de travail peut amener son lot de tensions à évacuer. Si tu cours tous les soirs pour aller récupérer tes enfants, tu risques de devoir renier tes besoins jusqu’au coucher de tes enfants. Tu risque de devoir les refouler complètement si tu passes sans transition aux tâches que tu n’as pas pu réaliser avant. Si, en plus, la soirée ne s’est pas passée comme prévu, les tensions accumulées peuvent devenir explosives.

Et si tu prévoyais, avec l’assistante maternelle, un quart d’heure de garde supplémentaire chaque jour, afin de pouvoir dormir, marcher, lire, méditer, téléphoner… quelques minutes avant de te mettre entièrement à la disposition de tes enfants ?

Si ce n’est pas possible, pourquoi ne pas instaurer un petit rituel de décompression ? Par exemple, une fois que vous êtes garés à votre domicile, vous respirez profondément tous ensemble 3 fois avant de rentrer. Si tu leur dis ensuite, ce que tu ressens, par exemple « Ahhh, ça m’a fait du bien, maintenant je suis prête pour notre soirée en famille !! », ils respecteront et investiront pour eux-même ce petit rituel.

Mother with Two Young Children Hugging and Kissing

La confiance dans les compétences des enfants !

La confiance dans les compétences des enfants est en lien avec la dignité équitable. Les enfants sont de petites personnes à protéger, mais aussi des personnes compétentes et volontaires.

En tant que parents, nous avons souvent tendance à sous-estimer les compétences de nos enfants et leur volonté à coopérer. Nous les mettons bien souvent (inconsciemment, bien sûr !!) dans une situation de sur-assistance et nos petits peuvent avoir tendance à se rebeller ou à entrer dans une dépendance acquise.

Amélie, la nouvelle situation que vous vivez, tes enfants et toi, peut vous protéger de ce piège, car, en quelque sorte, tu ne pourras pas te permettre « le luxe » de douter des compétences de tes enfants.

Ainsi, par exemple, beaucoup de parents passent un temps considérable à assister à l’habillage de leurs enfants. Ton temps à toi est précieux et les enfants peuvent très bien comprendre que leur coopération et leur autonomie le sont également. Amélie, si ton fils de trois ans et demi apprend à mettre son pantalon tout seul (y compris à fermer le bouton qui a toujours nécessité ton intervention), il pourra être fier non seulement de sa nouvelle capacité, mais aussi du bénéfice qu’apporte son acquisition à votre quotidien. Tu peux l’encourager en mettant des mots sur ce bénéfice. « Super, tu as mis ton pantalon tout seul !!! Et, tu vois, ça m’a permis d’étendre le linge sans m’arrêter ! Ça y est, j’ai fini, allons prendre le petit déjeuner ensemble. » Et, qui sait, ainsi encouragé, il aura peut-être envie, une prochaine fois, de finir plus tôt pour t’aider à étendre le linge ?

De nos jours, nous avons tendance à considérer comme tabou le fait que les enfants puissent réellement apporter leur aide. L’autonomie et la participation aux tâches domestiques sont surtout considérées comme des objectifs éducatifs et perdent tout leur attrait aux yeux des enfants. Ils souhaitent « aider pour de vrai ! » et non pas seulement « être bien éduqués ».

Alors si, par exemple, les enfants souhaitent aider à passer le balai ou à faire la vaisselle, j’invite les parents à accepter sans culpabilité. Et pourquoi ne pas leur permettre d’accéder à des résultats réels en leur proposant un balai adapté à leur taille ou un marchepied pour accéder facilement à l’évier ?

L’idée n’est pas d’obliger les enfants à nous aider, mais simplement d’accueillir les envies spontanées avec confiance et réelle gratitude.

Pour l’enfant, « aider » peut également être un moyen de passer un temps de qualité avec son parent. Donc, pas de souci si, au final, l’aide reçue ne fait pas vraiment gagner du temps !!

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Amélie, pourras-tu t’appuyer sur les compétences de ton deuxième enfant quand il naîtra ? Oui !!

Tout petits, les bébés sont déjà capables de communiquer, d’observer et d’écouter. En leur faisant confiance, nous percevons plus facilement la pertinence de leur communication à travers pleurs, mouvements et mimiques. Cette confiance renforce d’ailleurs l’instinct parental et diminue l’intensité des difficultés liées au stress.

La confiance en la capacité d’écoute des bébés permet de se sentir entendu et serein quand on leur parle. Ils sont naturellement empathiques grâce à la fusion très forte qu’ils vivent avec leur environnement, ils ressentent en même temps qu’ils entendent ce qui leur est dit avec authenticité. Cela renforce leur sécurité intérieure, y compris quand ils doivent faire face à des petits moments d’attente.

« Il faut un village pour élever un enfant ! »

La monoparentalité est un grand challenge ! Le seul parent est l’ancre de toute la famille. L’énergie du parent va beaucoup influer sur l’ambiance de toute la famille. Tant qu’il se sent confiant, les journées se déroulent de manière plutôt harmonieuse. Mais, dans les moments de fatigue physique et psychique, tout devient bien plus compliqué et parfois insupportable.

La tentation peut être grande de chercher à « s’en sortir » tout seul, à ne pas demander de relais, par exemple, après une journée que les enfants auront passée à la crèche, chez l’assistant.e maternel.le ou à l’école. En effet l’accueil en collectivité demande beaucoup d’énergie aux enfants, et pouvoir ensuite bénéficier de l’attention du parent est l’idéal.

Et pourtant, tout bon parent a besoin de pouvoir s’épanouir et recharger ses batteries. Alors, penser à soi n’est pas égoïste mais, au contraire, c’est prendre la responsabilité de répondre à ses besoins pour accompagner au mieux ses enfants.

En effet, il est bien difficile, pour les enfants, de devoir faire face à la souffrance de leurs parents !! Certains enfants, même jeunes, s’élèvent au statut de mini-adultes pour soutenir leurs parents psychologiquement. Et malheureusement, cela rend leur développement bien plus difficile !

Il vaut donc mieux que les parents organisent des relais pour leurs enfants plutôt que d’entrer dans une situation où les rôles entre enfants et parents s’inversent.

Les neurosciences ont démontrées que les enfants qui se développent le mieux sont des enfants qui bénéficient d’attaches stables avec leur.s parent.s mais aussi d’un réseau de personnes-ressources différentes. C’est « le village » comme les nomme le proverbe africain. Chaque personne investie par l’enfant lui permet d’ouvrir une nouvelle fenêtre sur le monde, et même les bébés peuvent tirer profit de la disponibilité et de la bienveillance d’autres personnes.

Amélie, n’hésite donc pas à permettre à tes enfants d’investir les personnes de ton entourage. Si tu as l’habitude de voir avec eux des amis et de la famille, les liens entre tes enfants et eux peuvent se tisser spontanément et ils seront déjà tissés quand tu auras besoin de relais.

Et, même si parfois ton environnement s’occupe de tes enfants autrement que tu ne le ferais, tu peux te ressourcer en toute bonne conscience. N’attends donc pas d’avoir trop vidé ton réservoir de ressources intérieures pour interpeller les personnes autour de toi !!

 Simone Niessen

Accompagnatrice de la Petite Enfance

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